Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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12 juin 2012

futurisme

dessin C.M.


Ce lundi 22 décembre 2008, je visite comme je l’avais prévu l’expo « Le futurisme à Paris, une avant-garde explosive ». Je connaissais un peu ce mouvement pour avoir vu quelques peinture de Cara, Boccioni et Severini et lu les deux manifestes : Celui du poète Marinetti et celui des peintres futuristes. Passé l’entrée je me dirige vers une table située côté sortie où se trouve trois ou quatre volumes sur le futurisme. Un homme et une femme se sont assis et feuillettent un catalogue. Je fais de même. Après quelques minutes, comprenant que ce couple va, après l’avoir visité, sortir du saint lieu, je leur pose la question : « Savez-vous que Marinetti était facho et ami de Mussolini. » - non, ils ne savaient pas. Ils n’avaient pas apparemment pris connaissance des manifestes, ni peut-être eu envie de les connaître.


J’avais bien deviné avant de venir qu’on n’allait pas exhiber cet aspect plus politique qu’esthétique de ce mouvement. Mais, tout de même, le sujet de l’expo exigeait que l’on montra ces deux manifestes publiés en 1909 et 1910 dans le Figaro. Le sujet de l’expo obligeait que l’on parla de cette idéologie qui prétendait révolutionner l’art et la peinture. Avant-garde, soit ! Mais aussi, bien autre chose. Et puis n’était-ce pas prétentieux de rejeter en bloc l’art du passé depuis ses origines et prétendre innover à partir de rien, rejetant toute tradition ? Avant-garde ? Oui, et aussi peut-être avant désastre et décadence. . . Et pourquoi s’interdirait-on d’admettre cette hypothèse ?

Ma première préoccupation est –ce que je fais rarement-- de prendre connaissance de tous les textes affichés sur les murs en gros caractères ; d’habitude je (m’imprègne) d’abord pour éviter que mon goût soit influencé par une littérature pas toujours appropriée et convaincante.

Je regarde attentivement les peintures exposées dont une grande partie est mélangée avec des peintures cubistes : Des Pablo Picasso, des Robert Delaunay, et aussi des Fernand Léger, qui ont des points communs avec le futurisme notamment sur le plan plastique. Une pensée étrange me vient à l’esprit : Si dans une école d’art on avait donné comme sujet d’examen : « Exprimez graphiquement et plastiquement la passion, le mouvement et la vitesse, et bien oui, j’aurais donné une bonne note à Dépéro, pour « Hennissement et rapidité », à Russello pour « La chevelure de Tina » et à Boccioni pour « Les états d’âme ». On me dira que j’exagère. Je ne crois pas. Au contraire, je ramène, dans un but d’honnêteté et de simplicité, les choses à leur juste mesure. Avec ce mouvement qui –tout le monde en conviendra-- ne craint pas la démesure et le délire, c’est sans aucun doute ce qu’il y a de mieux à faire. Ma réaction est donc saine. Il est vrai aussi –je tiens à le souligner— qu’il à fallu beaucoup de courage pour briser avec l’académisme bourgeois qui sévissait à cette époque. Epoque dans laquelle il faut aujourd’hui faire l’effort de se situer si nous voulons la comprendre. Mais, comprendre n’est pas admettre. Considérer par contre toute innovation comme un progrès et comme géniale –pensée qui a prévalue en art depuis plus d’un siècle-- est une absurdité, une malhonnêteté intellectuelle, et une marque –j’ose le dire-- de paresse et de lâcheté mentale.

Pour l’instant –voilà 30 minutes que je circule dans l’expo – pas l’ombre d’un manifeste. Enfin, dans un coin sombre, mal éclairé, entre trois murs délimitant une surface de 3m² environ, un exemplaire jauni, très jauni de la page du Figaro qui publia en 1909 le manifeste de Marinetti ; celui-ci accroché assez haut pour que les enfants ne puissent pas le lire sans doute et au-dessus, au plafond, une voix sortant d’un haut-parleur déclamant en boucle « le manifeste du futurisme » de Marinetti. Une seule personne à la fois peut lire le texte. Je reste là, observant les visiteurs. Très peu s’arrêtent et encore moins lisent le texte. Certains écoutent et manifestent quelque’ étonnement (a-t-on vraiment le droit de manifester face à un manifeste ?) L’ayant entendu 4 à 5 fois par devoir, je pus en vérifier l’exactitude avec le texte d’origine que je possédais dans mon sac. Je constatais qu’on avait coupé une bonne partie du texte : censuré. Quant au manifeste des peintres futuristes, je cherche encore, mais peut-être, distrait, suis-je passé à côté sans le voir.

Je suis atterré, perplexe. Je le suis d’ailleurs depuis bien longtemps. Révolté aussi, car encore une fois j’ai la certitude que l’on trompe le monde, depuis belle lurette. Il y a ce que le bon peuple doit savoir, et ce qu’il est vraiment très secondaire qu’il sache, et même ce qu’il est préférable qu’il ne sache pas, mais pour se donner bonne conscience et être en accord avec certaines règles issues de notre démocratie bourgeoise en décomposition, on fait comme le font tous les commerciaux : On écrit en tout petits caractères dans un coin de façon souvent illisible les ingrédients du produit que le bon publique qui achète et consomme n’a pas besoin de connaître. On nous dit tout, mais –les publicistes l’ont compris –selon une hiérarchie que l’on s’est donnée avec les valeurs que l’on prétend défendre et qui ne sont pas, surtout pas, celles de l’honnêteté intellectuelle. On est dans le domaine de l’irresponsabilité. Avec les artistes, bien-sûr, quoi de plus normal ? Suis-je bête ! Je devrais savoir qu’il faut faire confiance à ceux qui ont construit cette expo qui sont des spécialistes en art et des experts. Et moi, prétentieux, avec mon goût, ma formation, mon métier (le métier de peintre que Balthus disait ne pas être un art) qu’ai-je donc à ouvrir ma gueule ? Sûrement que dans mon enfance, dans mon éducation, mon instruction pas toujours religieuse, il y a des choses que j’ai mal digérées, et aussi que je manque de charité chrétienne. Heureusement Paul Valéry qui n’est pas n’importe qui, vient à mon secours. Paul Valéry nous dit : « En matière d’art, l’érudition est une sorte de défaite. Elle éclaire ce qui n’est pas le plus délicat, elle approfondit ce qui n’est pas essentiel, elle substitue ses hypothèses à la sensation et sa mémoire prodigieuse à la présence de la merveille. Elle annexe au musée immense une bibliothèque illimitée. Vénus changée en document. » Oui ! Merci Paul. Enfin quelqu’un qui pense un peu comme moi et qui voit ce que je vois. Je me sens moins seul.

J’ai appris quelque-chose en pédagogie : On ne dit pas à un enfant « ne fais pas ceci » mais fais « cela ». « Plus tard quand tu seras grand on t’expliquera ce que tu ne peux comprendre aujourd’hui. » Ici, dans le musée, il ya ce qu’il faut voir et ce qu’il ne faut pas voir, ce qu’il faut savoir et ce qu’il ne faut pas savoir. Bravo ! Nous sommes vraiment pris pour des enfants. Hier nous étions des enfants, c’est vrai ! Mais maintenant nous sommes des adultes, des adultes infantilisés, et des moutons, puisque depuis que l’expo est ouverte au public, personne n’a rien dit ; pas un journal de droite comme de gauche n’a ouvert sa gueule, plus aucun journal depuis des décennies n’ose critiquer l’art moderne ou l’art content pour rien. Personne… à part moi, et puis sans-doutes –je l’espère –quelques solitaires amoureux de l’art ou en pratiquant un. On se trouve ici devant une situation où, face au fanatisme, on juxtapose la malhonnêteté intellectuelle et la lâcheté, sous couvert de raison et de tolérance.

Je ne peux pas dire –mes connaissances en histoire étant limitées –que les écrits de Marinetti et le manifeste du futurisme ont conduit au fascisme, mais, refusant de me boucher les yeux et les oreilles incontestablement ils se situent dans une pensée qui était celle de l’époque, ne concernant pas tout le monde certes, mais une partie, qui a conduit au fascisme et admis le nazisme, dont les conséquences ont été : la guerre, les massacres, et dans le sang un bouleversement mondial. Ceci, si nous voulons être impartial, il faut le dire, même si ce n’est pas convenable ni conforme à notre pensée unique.

Heureusement il y a des artistes responsables. –Si ! Imaginez un architecte qui ferait des immeubles qui au bout de 10 ans s’effondreraient. Imaginez un architecte qui ferait des barres en béton, des espaces sans jardins, sans verdure, sans théâtre, sans cinéma, sans cafés, qui ferait des ensembles uniquement pour qu’on y vienne dormir, des banlieues inhumaines où les hommes seraient entassés comme des lapins ; il y aurait, je le pense, et je le pense depuis longtemps, de quoi perdre la boule. –Et bien cela existe. Peut-être pas les immeubles qui s’effondrent (quoi que), mais le reste, oui. On me dira avec juste raison que c’était mieux que les bidons-villes qui préexistaient, et qu’ à la fin de la guerre de 40 il fallait construire très vite. C’était plus propre, plus sain, soit ! Mais plus froid aussi, plus laid, et surtout inhumain. Bon, j’arrête ma digression. C’était juste pour faire un lien, que les imbéciles trouveront stupide, un parallèle, entre la guerre et la révolte dans les banlieues. Plusieurs points communs, plusieurs causes communes pourtant existent : la déraison, le délire, l’incompétence, la misère, l’exploitation de cette misère, le fanatisme, etc.… Je voulais surtout dire que les métiers artistiques comme les autres métiers ont leur déontologie, même si la vocation de l’artiste n’est pas moralisatrice.

Les artistes sont des gens responsables, qui, malheureusement revendiquent parfois l’irresponsabilité et s’y vautrent comme l’ont fait Marinetti et les peintres futuristes.

Extrait tiré du manifeste des peintres futuristes : « Nous déclarons . . . 5. Qu’il faut considérer comme un titre d’honneur l’appellation de ‘’fou’’ avec laquelle on s’efforce de bâillonner les novateurs. » Certes, il faut y voir de l’ironie et le prendre au second degré. Facile à dire, mais après lecture et relecture je ne peux, si je veux rester honnête et lucide, que m’inquiéter des déclarations de ces peintres et du délire verbale de Marinetti, de son lyrisme épique et prétentieux, emphatique et dangereux. Son amitié future avec Mussolini n’a rien d’étonnant, et là on ne rit plus. D’ailleurs si Marinetti fait rire c’est avant tout sur sa débilité et à ses dépends. J’espère que nous sommes d’accord.

J’en arrive à des interrogations qui ressemblent –et je m’en excuse –à une conclusion et que pour plus de clarté je vais rendre schématique :

Ne peut on pas dire que : malhonnêteté intellectuelle + lâcheté + délire + pensée belliqueuse à la Marinetti  conduit à la guerre, les destructions, la ruine ? Ne peut-on dire pour fermer le cycle dans l’évolution que : Paix + reconstruction rapide + architecture froide = banlieues laides et inhumaines + pensées noires + pensées belliqueuses + délires  conduisant à la révolte et au conflit des banlieues ? Qui ont aussi pour cause le chômage. Je ne sais mais méditons. Les artistes ont aussi leur part de responsabilité dans notre histoire et l’évolution du monde. Opposer Passé et Futur, Moderne et Classique, comme l’ont fait sans nuances, sans discernement, les futuristes, a conduit à la démesure, à la déraison, au fanatisme, puis aux catastrophes.

Non ! Je ne dirai pas que : Intellectualisme = Tromperie et Mystification, mais, dans beaucoup de cas, en art, il y a désincarnation et distance méprisante envers le monde physique, la nature, l’instinct, la femme, le sexe, la sensualité, comme ce fut le cas chez les futuristes, et même, parfois –ce qui est paradoxal –mépris de la sensibilité et le travail des mains.

Pour en revenir au manifeste des peintres futuristes, voici un autre extrait : « …. Contre le nu en peinture, aussi nauséeux et assommant que l’adultère en littérature …. C’est la monotonie du nu que nous combattons…. Les peintres, obsédés par le besoin d’exhiber le corps de leur maîtresse, ont transformé les salons en autant de foire aux jambons pourris !... Nous exigeons pour dix ans, la suppression totale du nu en peinture. » Et Marinetti : 9. « Nous voulons glorifier la guerre –seule hygiène du monde –le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme...10. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires. »

L’anarchie qui est le refus ne la hiérarchie (ni dieu ni maître) est difficilement compatible avec le militarisme qui exige le respect absolu de la hiérarchie et la soumission au grade supérieur. Mais Marinetti qui veut tout briser et fait de la bouillie avec la logique ne s’arrête pas à ces détails. Amalgame et confusion font partie sans-doute de sa poésie. Il ya bien les vers libres, alors pourquoi pas la philosophie libre et la confusion des idées ? La liberté pour certaines personnes puériles et infantiles c’est : Tout est possible dans l’irresponsabilité.

Quant au mépris de la femme et du nu féminin, je crois mais j’aimerais me tromper, qu’il y a chez ces révolutionnaires qui croient avec ferveur en la science et au progrès technique, un refus de la sensibilité qu’ils confondent avec la sensiblerie, un rejet du romantisme et des sentiments, et un tabou du sexe : Pâle reflet de notre culture judéo-chrétienne et gréco-latine, où passion et raison, nature et culture s’opposent et sont des contraires inconciliables. Rien n’est plus rétrograde et ringard que cette attitude prétendue révolutionnaire et d’avant-garde. « A quoi bon regarder derrière nous… Le temps et l’espace sont morts hier. Nous vivons déjà dans l’absolu… » L’espace et le temps sont donc morts !... Que l’on soit scientifique, artiste ou religieux, il n’y a là rien à comprendre. Quant au passé, à la tradition, à l’héritage venant de nos ancêtres, on crache dessus ; rien à prendre, on repart à zéro, ce qui est en contradiction avec leur goût des techniques, du modernisme et de la vitesses, car sans l’apport culturel du passé, rien de tout ce qu’ils aiment, les éblouît et les fascine, n’existerait. « Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques… » Et ils prennent place aujourd’hui dans les musées qui les exposent et les glorifient. Ici, il faudra que l’on m’explique …

« Les usines suspendues aux nuages par les ficelles de leurs fumées. » Que c’est beau ! J’espère que le monde ouvrier a été sensible à cette image, et que les écolos ne vont pas avoir envie d’analyser les fumées. « Que peut-on bien trouver dans un vieux tableau si ce n’est la contorsion pénible de l’artiste s’efforçant de briser les barrières infranchissables à son désir d’exprimer entièrement son rêve ? » Ici Marinetti donne une leçon de modestie aux artistes du passé. C’est à se tordre. . . « Vos objections ? Assez ! Assez ! Je les connais !. . . ‘’ Nous ne sommes que le résumé et le prolongement de nos ancêtres’’ Peut-être ! Soit ! . . . Qu’importe ?. . . Mais nous ne voulons pas attendre ! Gardez-vous de répéter ces mots infâmes ! Levez plutôt la tête ! » Après avoir glorifié le courage, quelle lâcheté ! On ne discute plus, on tue. C’était en 1909. Il ne connaissait pas encore Mussolini ! ?

Certes, Je ne possède pas la vérité. Je possède une raison, une sensibilité, je m’efforce d’avancer en gardant mon équilibre, je m’approche humblement de certaines vérités, ce qui n’est pas le cas chez ceux qui plonge tête baissée, se bouchant les yeux et les oreilles, dans le délire, la démesure, la déraison et le nihilisme, et qui sont des irresponsables comme le furent les futuristes, et le sont ceux qui les promeuvent. Ces deux manifestes sont des chefs-d’œuvre de l’art du délire et de la débilité.

Voilà plus d’un siècle que, concernant l’art, on traite le public comme des enfants incultes et insensibles, qu’on nous prend pour des idiots. Cette exposition telle qu’elle est montrée est un scandale. Voilà plus d’un siècle que l’on trompe les gens avec l’art moderne et l’art contemporain. Cette expo en est la démonstration. ET personne ne dit rien. Pas un journaliste, pas un critique n’ouvre sa gueule. Serais-je le seul à voir que ‘’ le roi est nu’’ ? On donne des valeurs astronomiques à des œuvres qui ne valent pas grand-chose, alors que des artistes honnêtes, méprisés et oubliés, ont du mal, beaucoup de mal à vivre . . . Amen.

1 commentaire:

  1. Je connais deux personnes qui partagent entièrement votre avis, ils m'ont appris à dessiner, c'est Nicola et Françoise Ragno, mais ils n'ont sans doute pas l'envie de venir le dire sur un média aussi compromis dans la destruction de toute esthétique qu'est internet.
    Quant à moi, je ne dirais pas que les artistes qui ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis sont les inventeurs des guerres les plus meurtrières de tous les temps. Je dis que leur époque, plongée dans l'éclectisme industrialisé, a créé une exaspération manifeste dans tous les domaines, et peu de gens ont réussi à y échapper. Le désastre a eu lieu c'est sûr. Mais aujourd'hui, je pense qu'on peut calmement constater leur échec: même exaltés, même révolutionnaires, même anarchistes, totalitaires et incohérents, ils n'ont pas renouvelé l'art, ils ont suivi de nombreux cul de sac irresponsables , et nous pouvons les remercier de l'avoir fait pour nous, nous n'avons plus cette tentation.
    Quant aux esthètes de France-Culture, ne vous en inquiétez pas de trop, faites comme moi, fermer le poste quand il s'agit d'art.

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