Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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17 juil. 2013

VV en "STAND BY"

texte et dessin A.S.

L’autre jour je me suis installé pour dessiner au bord de la voie rapide près de chez moi.
Un badaud est venu faire causette.

- Pourquoi vous n’allez pas plutôt dans la nature ?
- Notre nature d’aujourd’hui c’est ça : grands panneaux majestueux qui émergent d’un couvert de glissières de bandes blanches et de bitume.

Ça l’a fait sourire.

- C’est votre passion ?
- Je m’intéresse aux villes vernaculaires. Mais en attendant…

Il m’a serré la main l’air compatissant.

Bon, comme vous l’avez remarqué, ce blog est mis en « stand by ». Trop peu de visiteurs et pas assez de contributeurs. En attendant, les panneaux de signalisation se multiplient et les glissières courent toujours.

5 févr. 2013

dessin alter-idée

texte et dessin L.K. .


Le dessin en soi est une alter-idée… même si on a dit que « le dessin est ce qui art dans l’art » – et donc est partout. Et pourquoi architecture, ville vernaculaires et dessin ?
Selon Jean Luc Nancy le dessin est la recherche de la vérité du paraître de l’objet. Pour l’approcher (jamais l’atteindre évidemment), le dessinateur doit se laisser investir par cet « apparaître ». S’il n’est pas touché par ce qu’il voit, son dessin ne touchera personne.
Et qu’est-ce qui peut toucher le poète-dessinateur, quand il contemple l’architecture, la ville ? Dans une optique très vaste, c’est tout ce qui renvoie à la vie, à la condition de l’homme. Pourquoi le vieux massif montagneux aussi nous touche, ou le cours d’eau, le vieux pont, la rue ancestrale ou encore une main calleuse sur un établis ? Ils sont le cadre, l’environnement de l’homme depuis longtemps. C’est cela que je vois par exemple devant les bateaux rangés dans le port de Honfleur. La durée, l’histoire concentrées dans une vue : ce vieux port, la rade devenue bassin rectangulaire, les quais, les habitation alignées autour, ces charpentes comme des coques de vieux bateaux renversées…
C’est aussi une durée qui fait du dessin une approche vernaculaire. Quand je dessine, je poursuis cette nécessité et ce plaisir des hommes des cavernes, il y a plus de 20 000 ans. Mes gènes le savent.
Et pourquoi le dessin serait-il « alter-idée » ? Parce qu’il est dans le temps de l’observation, du ressentir, et il n’affirme pas un sujet (un auteur, un artiste), il est le médium presque transparent, entre l’objet (cette femme qui boit dans le dessin de Watteau par exemple et celui qui contemple le dessin : Watteau n’est plus, la femme est là).
Ce dessin, c’est la représentation où le lieu, l’objet est acteur. Ce que j’aimerai que l’on voit ici, c’est le Port de Honfleur.

28 nov. 2012

avec des si...

- Dis maman, pourquoi il y a des guerres ?
- Eh bien, le plus souvent c’est pour qu’on puisse chauffer nos maisons avec du fioul qu’on n’a pas chez nous, et pouvoir l’acheter suffisamment bon marché…

- Mais si tout le monde se chauffait au bois comme nous ?
- Eh bien, on en aurait quand même besoin pour faire marcher nos voitures.

- Et si on allait à cheval ?
- Il nous faudrait du terrain, au moins un hectare par cheval, et peut-être deux par famille…

- Alors il n’y aurait plus de ville, ce serait super !
- Et comment on ferait pour faire marcher les ordinateurs ?

- On aurait des centrales nucléaires !
- Et comment on ferait pour faire venir l’uranium ?

- Pas de centrales nucléaires alors...on aurait des éoliennes sur nos maisons !
- Et quand il n’y a pas de vent ?

- Et bien quand il n’y a pas de vent on ne peut pas jouer à Dofus ! Et c’est bien pour nous, de ne pas rester collé sur l’ordi…
- Mais il n’y a pas que des jeux sur un ordinateur : comment feraient ceux qui en ont besoin pour travailler ?

- Mais à quoi ça sert de travailler sur un ordinateur ?
- A communiquer instantanément des documents compliqués à des gens loin…

- Et ils ne pourraient pas habiter plus près ? Comme ça, tu les leur porterais à cheval ?
- Oui mais quand il pleut, quand il fait froid, quand on est fatigué, on n’a pas très envie de monter à cheval…

-Mais on n’a qu’à faire des voitures à cheval bien isolées et bien suspendues !
-Tu as raison, voilà une recherche d’avenir : la voiture à cheval confortable

22 nov. 2012

Rodin l'a dit

dessin Claude Hersant via wizzz.télérama


Qui l'a dit ? "Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes. L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins. Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort. […] Aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir […] L’art, c’est de la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont- ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tous est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont des ennemis. »
(Auguste Rodin, entretiens réunis par Paul Gsell, collection Idées / Arts, Gallimard.)

3 nov. 2012

machine conviviale

thème mécanisation / texte et dessin A.S. /

Laver. Sécher. Causer... Allure juvénile et petit visage ridé, madame X m’a emprunté soixante centimes pour faire marcher le séchoir du Lavomatic. Remarquant son léger accent étranger, je lui en demandais l’origine.

- Je suis d’ici, une pure catalane, mais j’ai fait un AVC il y a huit ans,
   qui m’a laissé sans pouvoir parler ni manger et à demie aveugle.

- Vous avez sûrement fait une rééducation avec un bon orthophoniste,
   car vous avez parfaitement récupéré.

- L’orthophoniste je l’attends toujours ! J’ai pris sur moi.
   Je me suis débrouillée seule.

Elle m’a alors raconté la bataille qu’elle a menée, des mois et des années durant, pour retrouver ses mots, arriver à les prononcer de nouveau. Puis elle est partie chercher la monnaie que je lui avais prêtée chez son amie coiffeuse de l’autre coté de la rue. Moralité : Nos voisins sont formidables et les machines à laver ne demandent qu’à être partagées.

2 nov. 2012

mère commune

thème : communaux / texte P.G. & dessin A.S./

Notons l’importance d'un glissement sémantique en remarquant qu'"intérêt" est désormais très loin de son point origine : l’interest en latin, l’intersum, est à la fois ce qui "est entre" et ce qui importe. Il est un lien faisant société et non un lamentable profit financier. De même, l’économie en grec ancien correspond à la meilleure gestion possible, non à une triste réduction des dépenses. Passons sur le mot capital qui désigne ce qui importe le plus, ce qui est à la tête… Oublions enfin le progrès, qui aurait pu glisser vers l'idée d'un "sens commun" mais se fond désormais dans la croissance du Pib que nos économistes véreux attendent comme le Saint Graal. Il est assez singulier que ces mots soient vulgarisés dans une logique monétaire bornée, alors qu’ils sont les clefs pour comprendre la relation intelligente des individus en société. Si nous voulons comprendre le sens de ces mots et sortir de notre prison financière, il nous faut ajouter un second terme : parlons déjà d’un intérêt-commun et d’une économie-soutenable, en attendant que s'imposent le capital-fondamental et le progrès-durable, pléonasmes qui se perçoivent étrangement comme des oxymorons !

Cependant, la globalisation économique et ses vaines tentatives d'extension sur la morale s'achève déjà sur une unique prise de conscience collective : nous vivons dans une biosphère et notre "intérêt commun" consiste à la préserver. Sa pérennité devient notre capital, mère des mères, grande poupée gigogne qui semble contenir toutes les autres. Matriochkas dont les éléments sont autour de nous aussi bien qu'en nous-mêmes. Petite dame Nature à la fois externe et interne, allant de la planète aux micro-organismes qui composent notre corps. Grâce à la sphère technique d'information qui va de l'échelle micro-individuelle à celle de la globalité, nous comprenons que nous sommes les fragments de Madame Gigogne. La biosphère entre dans nos têtes comme une évidence et nous n'avons déjà presque plus à nous fatiguer en multipliant les pléonasmes car chacun pressent ce que signifie fondamentalement capital, intérêt et économie. C’est l’avantage du glissement sémantique : il n’est ni irrémédiable, ni irréversible… Il glisse sur l’air du temps. A nous d’intégrer la logique gigogne de la biosphère. A nous de comprendre que le changement est toujours possible dans ces "intérieurs", en chaque lieu, de tout temps.

27 oct. 2012

sens commun

dessin R.H.

Brice Couturier, défenseur des lumières, comme il aime à se présenter sur France-Culture tous les matins, disait récemment que notre devoir est de chercher le commun parce que la diversité nous l’avons déjà… Il me semble que nous sommes en train de perdre la diversité sans gagner le commun. La morale universelle des droits de l’homme semble un socle commun raisonnable, mais nous oblige- t-elle à une forme commune ? Désirer porter le voile me parait du même ordre que préférer des murs en pierre de 1m80 de haut le long de son jardin. On peut l’interpréter comme un acte défensif excessif, mais aussi comme un certain confort social. Je ne dis pas qu’il faut mettre des murs partout ou porter le voile, je dis que certains villages magnifiques sont subdivisés en parcelles emmurées sans que ça déchaine les foudres du vingt-heures, alors que le fait de porter le voile semble une atteinte aux droits de la femme en l’occurrence. Je n’ai pas été élevée ni sous un voile ni à l’intérieur de murs, mais j’admets volontiers que l’un et l’autre puissent paraître nécessaires, culturellement et psychologiquement dans certains cas.

Le caractère universel d’une morale devrait se limiter à reconnaître l’autre comme de la même espèce que soi. Si c’est le cas, elle postulera que tuer et voler, c’est mal et qu’il vaut mieux ne pas mentir ni faire souffrir autrui. Au-delà de ça, chaque culture fait son nid, et souvent accepte certaines souffrances, en échange d’actes d’une valeur censée être supérieure. Souvent elle préfère faire souffrir l’individu pour préserver l’ordre social. Notre société occidentale essaie d’inverser cette tendance en privilégiant l’individu au détriment de la collectivité. Dans un cas comme dans l’autre la souffrance arrive toujours à un moment du parcours. Vouloir éradiquer la souffrance, c’est supprimer la condition humaine. Les cultures anciennes s’évertuent à donner un sens à cette souffrance. La culture internationale postule que la souffrance n’a aucun sens, et la rend extrêmement angoissante. Plutôt que de surmonter la souffrance (qu’elle soit physique ou morale) par le sens, on cherche à la surmonter par la technologie, voire l’"humain augmenté". Le sens est quelque chose que chacun peut s’approprier, la technologie s’achète.

C’est dans ce schéma que se retrouve l’architecture, condamnée à subvenir au confort physique de l’individu, plutôt qu’à construire des sens communs, localement, où chacun puisse trouver sa place. La forme universelle me semble un système totalitaire , par définition sans issue, puisque sans autre possibilité. La relocalisation de la forme est une nécessité aussi bien écologique qu’esthétique, voire démocratique.

=> sujet [communaux] / message précédent : intérêt commun

22 oct. 2012

intérêt commun

dessin N.D.

L'architecture vernaculaire et les villes et la campagne qu'elle génère, facilitent la condition d'homme face à l'adversité du "monde". L'architecture vernaculaire reflète une proximité du monde naturel, physique, symbolique et la nécessité de vivre en "intelligence" avec. Ajoutons que les villes et la campagne vernaculaires favorisent l'"intérêt commun" des hommes. Par exemple, si nous pensons aux menuiseries d'une habitation vernaculaire, la porte en bois révèle la forêt qui a permis à l'arbre de pousser, mais aussi la main de l'homme qui a façonné la matière. L'homme est ainsi à la fois proche du monde et de ses semblables. La pérennité de la porte, de la forêt et de l'action du menuisier prend alors spontanément sens.

L'action humaine est moins vaine dans l'héritage et la transmission d’un patrimoine, matériel ou immatériel, qui interpelle la mémoire et permet son adaptation (on en revient à la "règle générative" albertienne et au principe d'"imitation" cher à Quatremère de Quincy...), car nos semblables ne sont pas simplement les vivants qui nous entourent, mais aussi les êtres d'autres époques et de demain (par exemple le menuisier qui a fabriqué cette porte ancienne et l’enfant qui l’utilise aujourd’hui). Dans ce sens, l'architecture vernaculaire, dans ses lentes transformations et son ancrage dans le paysage qu'elle constitue tout à la fois, est rassurante pour l'âme humaine. Elle sert un intérêt commun au delà de notre propre finitude. Un groupe industriel qui conçoit une porte qui finira la génération suivante dans une décharge ne fait pas société. Je dirai, enfin, que l'architecture vernaculaire ne garantit pas nécessairement le "bonheur" (la "tranquillité de l'âme" dans le sens antique) mais que son cadre le favorise, de la même manière que les formes urbaines classiques avec leurs places publiques favorisent l'entente des citoyens sans pour autant la garantir... L'agora peut être le lieu de la concorde mais aussi le théâtre d'un coup d'état. Mais sans agora, peu d'espoir d'une entente citoyenne…

"De même, en effet, que l'opinion des hommes n'est pas le même sur toutes les choses que le vulgaire considère en quelque sorte comme des biens, mais qu'ils s'entendent sur certaines d'entre elles, celles qui touchent à l'intérêt commun ; de même, c'est ce but, le bien commun et public, qu'il faut se proposer." (Livre XI, Marc-aurèle, Pensées pour moi-même)

=> sujet [communaux] / message précédent : progrès humaniste

18 oct. 2012

changer la vie



Le président de la République en a décidé ainsi : chaque jeune Français recevra à sa majorité une machine à café de marque « Nespresso ». Cet investissement massif de la Nation a des objectifs multiples. Il permettra de relancer notre industrie en faisant fabriquer par AREVA ces sortes de petites centrales nucléaires portatives. Il dynamisera la filière du luxe, qui est, comme chacun sait, un des fers de lance de notre économie : création par nos meilleurs designers de jolies capsules, elles-même enveloppées dans des sachets d’une esthétique raffinée, eux-même disposés dans de superbes boites analogues à celles de la haute parfumerie ou des cosmétiques de madame Bettancourt. Enfin et surtout, cet investissement aura une portée pédagogique essentielle en montrant à chaque futur citoyen que pour être moderne il suffit d’effleurer du doigt un petit bouton lumineux. Que les amis se rencontrent sur Internet et non autour d’une cafetière. Et que, pour le reste, c’est chacun pour soi, chacun sa dose.

=> sujet [mécanisation] / message précédent : mariage mécanique

17 oct. 2012

pantin normalisé

dessin A.S.

A la sagesse discrète de l’être libre qui choisit ses maîtres et ses modèles répond l’excentricité superficielle du pantin qui suit les fils du système et des normes. Mais comment et pourquoi les êtres humains sont-ils devenus des pantins ? Rappelons qu'après la Seconde Guerre mondiale la norme s’est généralisée dans le but d’augmenter la production industrielle. Au-delà d’un calibrage commun (l'historique standard), il s’agissait surtout de pallier aux manques d’effectifs dans l’industrie en remplaçant "l’ouvrier qualifié" par "l’ouvrier spécialisé" : l’artisan, que le client pouvait juger en regardant ses ouvrages, a été remplacé par une "main d’œuvre" formée à la va-vite, sans qualité, interchangeable. Constatant l’efficacité de ce modèle, la société de consommation en a déduit qu’il fallait considérer l’individu comme stupide, qu’il soit producteur ou acheteur. Il fallait donc le protéger en systématisant les normes. Début de notre contre-histoire.

Aujourd’hui, recouverts par d'innombrables normes, même les décideurs s'assimilent à des pantins décérébrés - architecte, médecin, juriste, enseignant, ingénieur, politicien, designer – car ils ne sont que des "agents" baladés pour fabriquer et acheter des produits normalisés d'après les canons contemporains, filoguidés vers le char d'assaut de l'innovation : l’architecte doit suivre la circulaire-truc et la norme ISO-machin pour que son bâtiment soit normalement solide, normalement isolé, tout en répondant normalement aux besoins de l’usager normal… Inutile de chercher du côté du style, d’une influence ou d’un talent pour identifier une construction contemporaine, inutile aussi de s’illusionner en croyant trouver des rinceaux, des coquilles ou des médaillons car nous ne sommes plus à la Renaissance ! Que non ! Pour "identifier" un bâtiment actuel, il faut observer les normes : "nous pouvons voir que cet édifice a été construit après 2007 car c’est un B.B.C. type E.R.P. doté d’accès P.M.R. ", voilà tout ce que pourra dire le guide touristique face au patrimoine des années 1980 à 2020, " car, dans ce temps-là, les modèles se réduisaient à des normes internationales imposées par la loi".

L’architecte-pantin se soumet car les normes revendiquent l’idée de condition universelle. Elles colonisent le monde en conjuguant les doctrines positivistes aux intérêts financiers pour réinventer les usages. Sous couvert de bien-être, elles imposent les a priori modernes d’isolement et de sécurité, elles combattent l’extérieur, la différence, les catastrophes, les maladresses, les fragilités... Mais la morale écologique perturbe depuis peu la certitude normative car elle se veut "durable" et "tolérante", il va donc falloir penser à s'adapter, tout en ralentissant la course. Bientôt, le paroxysme des normes sera derrière nous car le produit global-normal-éphémère-énergivore devra muter vers le local-spécifique-durable-économique. Aujourd’hui, les normalisateurs pensent s’en sortir en se cachant sous la flexibilité et la bonne conscience du green design mais le paradoxe va finir par tout emporter : l’homme intelligent va refaire surface, pantin goûtant avec bonheur la liberté de bouger sans fil, de choisir ses modèles, de vivre sa condition d'être de chair et de sang.

=> sujet [modèle] / message précédent : modèle (déf.)

13 oct. 2012

modèle (déf.)

dessin A.S.

Modèle -. L’architecture vernaculaire sait être simple sans être pure, être subtile sans être incompréhensible. Son but est de perfectionner une forme en tirant parti des contraintes nouvelles. Si on la trouve simple, c’est que l’on connait déjà une partie de ses clefs : elle rend hommage à un modèle reconnu, non par sa réutilisation telle quelle à un autre endroit mais par une attitude générale où l’échelle humaine est rappelée à chaque occasion (menuiserie, couverture, maçonnerie, etc…), où le travail manuel est le reflet de notre condition et - à ce titre - visible, intelligible et maîtrisé. Chaque modification d’une forme garde à ses côtés une forme connue servant à la fois de contrepoint et d’ambassadeur.

La création en hommage à un modèle est l’un des points qui différencient les constructions vernaculaires des constructions actuelles. Il ne s’agit pas d’une modélisation faite une fois pour toutes et valable automatiquement dans n’importe quelle situation ; C’est plutôt une référence qui a interprété un lieu élégamment, et dans laquelle le propriétaire se reconnaît autant que l’architecte. Une référence qui a suscité suffisamment d’admiration pour créer une sorte d’univers symbolique qui habitera la construction vernaculaire. C’est notre rapport au modèle, à ses multiples aspects, qui fait du projet un corps, à la fois spécifique et différent (comme nous le sommes tous : maître d’ouvrage, maître d’œuvre, lieu) mais aussi en parenté (avec ceux qui ont choisi le même modèle).

Ce sont ces parentés qui créent une culture commune. Des traditions qui, jusque-là, ont pu traverser et relier les siècles et parfois les aires géographiques. Si le modèle de chacun est un Ovni industriel, cela devient une culture sans passé et sans lien symbolique avec notre humanité. Sans passé, même réinventé à chaque génération, quel sens peut-on trouver à notre existence ? S’il s’agit simplement de survivre, se nourrir, dormir, pourquoi continuer ? L’intérêt de continuer vient du sentiment d’être le maillon indispensable dans une chaîne de transmission. La forme et la solidité de notre maillon est de notre ressort. La partie visible de l’architecture contemporaine ressemble à un amoncellement de triplettes de maillons flottants, inévitablement destinés à la déchèterie…

=> sujet [modèle] / message précédent : intelligible (déf.)

10 oct. 2012

musée-monument

dessin A.S.

Les musées s’emploient souvent aujourd’hui à optimiser les flux de ceux qui les parcourent : il faut éviter les sièges qui pourraient les ralentir, les vues sur l’extérieur qui pourraient les distraire. Le but de ceux qui les managent est visiblement de faire du chiffre, pas de la poésie. Mille, cent mille, un million de visiteurs, c’est une manne pour le commerce et l’industrie touristique. Et n’allez pas critiquer puisque c’est pour une noble cause ! On peut voir dans ces musées des œuvres parfois superbes, mais les gens qui s’y rendent à la queue leu leu y sont passablement ridiculisés. Venir de Chine ou d’Amérique pour défiler devant de grandes ou de petites Vénus de Milo, un audio-guide à l’oreille et un appareil photo à bout de bras, a quelque chose de piteux . Et puis, par rapport aux torses de marbre et aux belles épaules des statues antiques, les anatomies chétives ou les gros ventres de leurs successeurs, en jean diésel ou simili, ne sont guère mis en valeur.

Comment seront les musées vernaculaires de demain ? Enracinés dans une histoire, dans un territoire ? Y en a-t-il déjà dont on puisse s’inspirer ? De passage à Paris, je suis allé l’autre jour au musée des Arts et Métiers. On peut y voir l’avion de Blériot, avec lequel il a traversé la manche en 1908, suspendu avec deux autres aéroplanes de la même époque dans la nef de l’ancienne église de Saint-Martin-des-Champs. Cette nef se termine par une abside, entourée de chapelles rayonnantes, qui inaugure (on est au tout début du douzième siècle) l’architecture gothique avec ses voûtes sur croisées d’ogives et ses grandes verrières. Témoignages croisés d’une révolution architecturale qui va engendrer toutes nos grandes cathédrales, et d’une révolution technique (le moteur à explosion) qui va permettre l’émergence puis le développement exponentiel du transport aérien et automobile, cette église-musée est un lieu qui oblige à la réflexion.

Qu’est ce qui est art et qu’est ce qui est technique dans notre aventure humaine ? Son aménagement avec une rampe dissymétrique en structure métallique qui permet de monter jusqu’au dessus des avions en admirant quelques machines et objets d’il y a cent ans, met joliment en scène les visiteurs qui s’y aventurent et qui découvrent les autres d’en haut. Nietzsche dit quelque part qu’il faudrait construire des lieux pour penser. En voilà un bel exemple. Les musées vernaculaires ne seront pas des machines à regarder, ou des dispositifs conçus pour gérer des flux de touristes désœuvrés, mais des lieux poétiques, propices à la méditation et à la rêverie. Des lieux où l’on se sentira soi-même acteur de la grande et un peu terrifiante aventure qui nous projette, sans nous demander notre avis, dans un espace et une histoire dont nous avons maintenant la charge.